Soirée Federico FELLINI du 11/03/2014

à l’auditorium de l’ENSP, Arles.
Christian MILOVANOFF et Patrick TABLOT nous ont chacun proposé leur analyse filmique de « FELLINI ROMA », projeté ce même soir.
Celle de Patrick TALBOT est publiée ci-dessous, avec son aimable autorisation.

 

FELLINI ROMA

 

Notre série est censée s’appeler « Cinéma et histoire » mais avec Fellini et Roma, il n’est pas question de parler d’histoire comme nous en avons parlé dans les séances précédentes à propos de Pasolini ou Rossellini (pour ne mentionner que les Italiens) car avec ce cinéaste et cette ville, dont on pourrait dire qu’ils sont au-delà de toute mesure accordés l’un à l’autre, tout s’embrouille, se ramifie se diversifie et se transforme à partir d’une « réalité totalement reconstruite ». Il n’empêche, pour préserver la formule, autant que faire se peut, je prendrai les choses par un biais historique.

 

Cependant, avant d’entrer dans le vif du sujet, il n’es pas interdit de se demander « Qu’est-ce que Rome ? » et de citer un extrait de la réponse que Fellini donne à cette question - qu’il se pose à lui-même - dans un texte intitulé Auto Intervista publiée en 1994, soit une vingtaine d’années après la réalisation du film. « Rome –dit-il - te permet tout type de spéculation, de spéculation verticale. Rome est une ville horizontale, d’eau et de terre, une ville allongée et donc la plate-forme idéale pour des envols fantastiques » et un peu plus loin il ajoute : « C’est que Rome est une mère, la mère idéale car elle est indifférente. C’est une mère qui a trop d’enfants, elle ne peut donc pas se consacrer à tous, elle ne te demande rien, elle n’attend rien. Elle t’accueille quand tu arrives, elle te laisse partir quand tu t’en vas, comme le tribunal de Kafka. Il y a là une sagesse très antique, quasiment africaine, préhistorique. Nous savons que Rome est une ville chargée d’histoire mais son pouvoir de suggestion réside justement dans ce côté préhistorique, primordial, qui apparaît nettement dans certaines perspectives lointaines et désolées, dans certaines ruines qui semblent des fossiles, des ossements comme des squelettes de mammouths. »

 

Quant aux Romains, voilà ce qu’il en dit dans le même texte : « Avec son gros ventre placentaire et son aspect maternel, Rome évite la névrose mais elle empêche aussi le développement de la maturation. Il n’y a pas de névrosés, mais pas d’adultes non plus. C’est une ville d’enfants paresseux, sceptiques et mal élevés ; un peu difformes aussi, psychiquement, puisqu’il est contre nature d’empêcher la croissance. C’est aussi pour cela qu’à Rome il y a un tel attachement à la famille. (…) Il ressort de tout cela une odeur de minestrone en train de cuire. Une atmosphère encouragée par l’Eglise, la seule vraie responsable de ce type d’Italien, figé dans son infantilisme chronique (…) Voilà : on reste toujours des enfants de maman et la maman c’est la madone ou l’Eglise. »

 

La première image du film, sombre et brève, nous montre, les trois Parques ricanant à propos de l’Amérique où « tout ce qu’on mange est dans des boîtes ». Tendue entre la préhistoire de ce paysage et l’histoire du temps présent, cette entrée en matière est suivie par une rapide évocation de quelques souvenirs d’école, épisodes et icônes parmi les plus célèbres de l’histoire romaine : le franchissement du Rubicon par César –alea jacta est – ici parodié sous la conduite d’un maître emphatique traversant gravement un filet d’eau ridicule ; une mention rapide des oies du Capitole et du cheval de Caligula dont cet empereur fit un consul, puis de l’assassinat de César ponctué par le mot de la fin à la fois célèbre et contesté Tu quoque mi fili,; suit une série de diapositives où l’on voit défiler sur l’écran devant un parterre d’écoliers, d’abord la Louve romaine (Lupa) dont Tite-Live et Plutarque confirment bien, l’un et l’autre, qu’elle allaita les jumeaux fondateurs de Rome, Rémus et Romulus, tout en précisant (ce que Fellini sait, mais peut-être pas les enfants) qu’il s’agissait non d’un animal mais d’une prostituée, femme du berger Faustulus qui avait recueilli les bambins voués à la noyade ; viennent à la suite quelques monuments d’époques diverses, la basilique de Santa-Maria Maggiore fondée au V° siècle, reconstruite au XIII°, le tombeau de Cecilia Metella sur la Via Appia, l’arc de Constantin construit après sa célèbre victoire du Pont Milvius (In hoc signo vinces) immortalisée dans un merveilleux tableau de Piero della Francesca, Saint Pierre de Rome, capitale du Vatican et l’Autel de la Patrie, ce dernier déclenchant les applaudissements des enfants, symboles respectifs de la religion chargée des affaires du ciel, et de l’Etat qui s’occupe, lui, des affaires terrestres… (un raccourci électrique entre les deux pôles qui se partagent le pouvoir dans l’Urbs) avant que n’apparaisse sur l’écran, vue de dos, une matrone nue et callipyge qui déclenche une explosion de rires et une frénésie irrépressible parmi les enfants, agitation interprétée par leurs maîtres ecclésiastiques comme n’étant rien moins que l’effet de la main du diable ; enfin, concluant la promenade antique, quelques images cinématographiques venues d’un péplum évoquant peut-être Messaline, héroïne sulfureuse comparable en raison de sa sexualité insatiable et de sa cruauté légendaire à la Juliette qui, dans l’œuvre de Sade, prospère par la grâce du vice.

 

Sic transit l’histoire antique. Le traitement qui lui est infligé l’enchevêtre étroitement aux obsessions du réalisateur : souvenirs d’école, de ce qu’on y mangeait, de la tutelle ecclésiastique, de la sexualité, des images, du théâtre et du cinéma. Ni le Moyen-Age, ni la Renaissance, ni la période baroque, ni le Risorgimento ne sont identifiés de la même manière dans le film lequel, du point de vue chronologique, hormis l’Antiquité, ne présente que deux autres entrées historiques : le ventenno, autrement dit les vingt années du régime mussolinien et l’histoire du temps présent.

 

Né en 1920, avant l’instauration du fascisme, Fellini avait vingt cinq ans lors de la fin peu glorieuse du Duce. Tous ses souvenirs d’enfance et d’adolescence remontent donc à la période où il vivait à Rimini puisque c’est en 1939 qu’il en partit pour Rome. Dans le film, on voit d’ailleurs arriver en gare de Termini, vêtu d’un costume blanc qui ne passe pas inaperçu, Peter Gonzales Falco, l’acteur incarnant le jeune Fellini. Avec lui, le réalisateur quinquagénaire exporte donc vers la capitale - telle qu’elle apparaît dans le film, c’est-à-dire en grande partie construite à l’intérieur d’un studio de Cinecittà - des souvenirs remontant à quatre ou cinq décennies ayant eu pour cadre une petite ville provinciale de la côte Adriatique. Cet assemblage hétéroclite convient à Fellini qui aime à dire : « J’ai besoin d’une réalité complètement reconstruite. C’est la clé de mon travail. ».

 

D’emblée, cette matière mnésique nous plonge dans la période fasciste, à vrai dire déjà abordée lors de l’évocation des souvenirs de l’école sur les murs de laquelle la croix du Christ côtoyait le portrait de Mussolini. Après le passage du jeune homme dans sa famille d’accueil, dont la Mamma et son mammone geignard souffrant d’un coup de soleil douloureux, occupent le centre, le déjeuner qui suit, dans une trattoria débordant largement sur la chaussée est un épisode au cours duquel la culture populaire s’exprime librement et de mille manières par un appétit débordant non seulement pour les nourritures terrestres mais pour les mots, les attitudes, les gestes, les chansons, les jurons, la famille, les plaisirs de la bouche et les jeux de la langue, la proximité et la promiscuité – point de politique à cet endroit saturé d’action et de bruit. Le souvenir du music-hall de la Barafonda dont un habitué du lieu affirme qu’il est « le point de rencontre entre le cirque et le bordel » intéresse davantage le réalisateur que les questions sur le devenir social, économique et politique de la Rome actuelle posées avec un grand sérieux par un étudiant appliqué. Avec son public populaire, majoritairement masculin qui interpelle et insulte les « artistes » mais les applaudit à leur sortie, cet endroit passablement ringard est de toute évidence une matrice d’inconscient collectif que Fellini, adepte de Jung, apprécie comme le liquide amniotique de son élément de prédilection. La politique et ses mensonges, la guerre et ses bombardements s’invitant par effraction, fonctionnent comme une variété fellinienne de rappel au réel. Les bordels dans lesquels il nous introduit un peu plus tard, l’un sordide, l’autre luxueux, mettent en scène des prostituées plutôt volumineuses dans une parade assez ahurissante, elle aussi, digne d’un cirque où, avec une énergie véritablement animale la gent féminine active les instincts de la meute, l’insulte et la provoque avant d’expulser les clients hésitants ou bien de les pétrifier lorsqu’est annoncée l’arrivée d’une personnalité hors du commun au service de laquelle toutes les dames sont mobilisées.

 

Fellini a écrit qu’il « considérait le fascisme comme une sorte de dégénérescence au niveau historique d’une saison individuelle – celle de l’adolescence – qui se corrompt et pourrit en proliférant monstrueusement, sans réussir à évoluer et à devenir adulte », ce dont les vitelloni, dans un de ses précédents films, sont comme la figure allégorique. Toutefois, l’anarchisme magico-lyrique de Fellini, n’opposant au fascisme que sa propre mythologie, son idéologie irrationnelle de type catholique et sa vision d’un monde comme une énigme fondée sur le vide, le tout largement assaisonné d’humour et de dérision, ne parvint jamais à convaincre Pasolini, lequel tenait cette supposée critique du régime mussolinien pour inefficace et peu pertinente. Cela étant dit, les relations entre les deux hommes étaient complexes car ils partageaient un même penchant pour le poète Giovanni Pascoli, qui, à rebours du futuriste Marinetti, promoteur du Surhomme, partait, lui, du principe qu’ « il y a en nous un enfant » contemporain de l’adolescent, de l’adulte et du grand âge. Pasolini comme Fellini croyaient à la permanence de cet enfant, c’est pourquoi en dépit de la réelle ambigüité des convictions « décadentistes » de Pascoli, qui gênaient davantage le premier que le second, l’un et l’autre le tenaient pour une pierre de touche conséquente et une référence commune.

 

Le temps présent, donc trente ans plus tard et, pour nous il y a déjà quarante ans, c’est d’abord une longue séquence sur le boulevard périphérique (GRA), monstrueux chaos, d’embouteillages peuplés de tifosi napolitains, de chiens, d’un cheval blanc, peut-être celui de Caligula, d’usines apocalyptiques, de tanks, d’auto-stoppeurs de bétail mort, de manifestants et d’inévitables prostituées. On y voit le film en train de se faire sous la direction du réalisateur et sous une pluie battante traversée de bordées d’injures associant le geste à la parole. Ailleurs, sur l’escalier de la place d’Espagne puis dans le Trastevere les hippies qui aimantent et intriguent l’instinct du cinéaste quelque peu envieux de leur liberté de mœurs sont aussi un marqueur de l’époque, laquelle, tranchant avec leur présence éphémère, continue de nourrir en elle deux éternels fondamentaux : une institution bimillénaire, l’Eglise, et une classe sociale imperturbable, l’aristocratie romaine, l’une et l’autre ayant entretenu au long des siècles des liens incestueux et présentées par Fellini comme impavides, archaïques et légèrement anachroniques ; la première principalement préoccupée par son influence et la permanence de son pouvoir alliés à un amoralisme mondain et frivole dont un défilé de mode conclu par l’arrivée d’un pape momifié donne la mesure ; la seconde fonctionnant de manière endogène, à la fois arc-boutée sur son passé et désormais addict de la vacuité berlusconienne, celle que Paolo Sorrentino a récemment et remarquablement mise en lumière dans La grande belleza.

 

Pareille avalanche d’images, par la médiation desquelles, selon Gilles Deleuze, Fellini parvient à « faire que le quotidien ne cesse de s’organiser en spectacle ambulant » est d’autant plus impressionnant que le philosophe qualifie d’« images cristal » ce que nous voyons, autrement dit une image actuelle toujours dédoublée par une image virtuelle, deux faces qui se confondent tout en ne cessant jamais de se différencier.

 

Pour conserver à cette analyse, empreinte de charge émotive, sa rigueur dialectique, sa sémiotique peircienne et en filigrane, le mystère de la Sainte Trinité, ma conclusion ne comportera pas moins de trois parties.

 

La première nous entraine dans une découverte faite lors des travaux de creusement requis par la construction du métro, celle d’une casa romana en laquelle on peut voir la concrétisation des « spéculations verticales » mentionnées dès l’introduction, couloirs de pulsations imprévisibles émanant d’une ville souterraine rêveuse et rêvée. Les traces antiques, et, tout particulièrement les fresques sont comme chacun sait, d’une extrême fragilité ; l’intervention humaine aujourd’hui lourdement armée d’outils industriels et toujours pressée de conclure au plus vite les chantiers qu’elle gère, fonctionne selon une temporalité distincte de celle requise par l’histoire et l’archéologie. C’est pourquoi, en réalité, dans une ville, l’effacement accidentel et presque instantané d’une fresque souterraine est une sorte de bénédiction qui permet, pour le soulagement conjoint du capital et des prolétaires, de ne pas interrompre les travaux en cours et d’évacuer un passé qui, matériellement et financièrement, dérange. Comme si, en la circonstance, était métaphoriquement confirmé ce que Marx écrivait dans « le Manifeste communiste » touchant les conséquences de la domination bourgeoise : « Tout ce qui était solide, bien établi, se volatilise, tout ce qui était sacré se trouve profané et, à la fin, les hommes sont forcés de considérer d’un œil détrompé la place qu’ils tiennent dans la vie et leurs rapports mutuels. »

 

La deuxième conclusion est plus émouvante encore puisqu’elle nous met en présence d’Anna Magnani, dont c’est l’ultime apparition sur un écran. La voix off du réalisateur accompagne les pas qui la ramènent chez elle, la décrivant comme « une actrice romaine qui pourrait être aussi bien le symbole de la ville, celui d’une Rome perçue comme une louve (lupa) ou une vestale, aristocratique et pouilleuse, sombre et bouffonne et – ajoute-t-il - je pourrais continuer ainsi jusqu’à demain matin… » Un attrice romana che potrebbe essere anche il simbolo della città, una Roma vista come lupa o vestale, aristocràtica e straccione, tétra, buffonesca, potre continuare fino a domani mattina

La Magnani s’étonne d’abord – Che so io ? – puis - Che di ? – avant de conseiller à ce beau parleur d’aller dormir : Federi va a dormir va ! mais, lui, insiste : Posso farti una domanda, « Je peux te poser une question ? » ce à quoi, avant de lui claquer la porte au nez, elle répond : « Non, tu ne m’inspires pas confiance » No, non mi fido, Ciao ! Buona notte.

 

Quelques instants de silence, d’images et de nuit … il y en a déjà eu d’autres dans le film, des tramways environnés d’éclairs, un berger et ses moutons traversant la ville, ou encore un brouillard troué d’apparitions sur la campagne romaine, instants précieux accordés à la ritournelle, « cristal de temps », selon Guattari, soustrait à son « galop », celui « accompagnant le monde qui court à sa perte ».

 

Le galop reprend avec un rugissement de motos engagées durant quatre minutes dans une parade quasi chorégraphique, une traversée nocturne d’une Rome circulaire, lumineuse et déserte, peuplée d’architectures splendides en majorité baroque, de statues et de monuments. Impossible de ne pas penser à « L’équipée sauvage » (The wild One), de Laszlo Benedek, un film de 1953 dont Marlon Brando est l’acteur principal. Du coup, avec cette vision de la Ville, faisant apparaître le fantôme de Marc Aurèle sur le Capitole, le temple de Vesta où ne brûle plus le feu sacré de la Cité, le Colisée vide alors qu’il pouvait accueillir jusqu’à quatre-vingt mille spectateurs, les derniers mots de la Magnani résonnent étrangement. Ces motards androgynes qui entrent dans la ville ne sont-ils pas des envahisseurs barbares d’un type nouveau que le réalisateur, auquel nous savons maintenant qu’on ne peut plus se fier, aurait appelé de ses vœux afin d’échapper à la réalité aussi impitoyable et incontournable d’un présent révoqué et s’échapper de son propre film en se repliant sur son instinct primordial, ses rêves et ses fantasmes, ce que suggère le titre définitif de ce merveilleux et incroyable tombereau d’images - Fellini Roma .

 

Patrick Talbot

11 mars 2014

Culture, diversité, mondialisation : quelques rapides réflexions et questions proposées en partage (Jacques DEFERT, 2006, Arles)

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Le thème de la « diversité culturelle », issu de l'anthropologie, fait aujourd'hui l'objet d'un large engouement, dans les discours institutionnels internationaux qui s'y réfèrent, comme dans les médias qui en amplifient l'écho, sans qu'on puisse vraiment dire si tout le monde parle bien de la même chose...

 

Cette notion prolonge en quelque sorte les notions de « patrimoine culturel » et d'« identité culturelle » dont l'usage s'était généralisé beaucoup plus tôt, au point que ces trois concepts sont aujourd'hui souvent étroitement associés et parfois confondus.

Pour cette raison, il pourrait être intéressant de commencer par mener une réflexion centrée sur cette notion à la mode afin d'amorcer une série de débats interrogeant les liens entre culture, diversité et mondialisation...

 

Avant même de situer cette notion de « diversité culturelle » dans son rapport à la globalisation, au flux généralisé d'informations et de marchandises, à la migration des hommes, des symboles, des images et des idées et aux crispations identitaires qui leurs sont liées, on pourrait commencer par constater que ce thème de débat est en train d'en supplanter d'autres, qui nous ont pourtant occupé pendant des décennies, notamment celui de la « démocratisation de la culture »....

 

En devenant les leitmotivs d'une époque, ces grands thèmes de débat, qui recoupent pourtant d'importantes questions de société, semblent instrumentalisés de telle manière que leurs vrais enjeux s'en trouvent brouillés, avant d'être discrètement remplacés par d'autres thèmes.

 

Les enjeux de la démocratisation de la culture, même enlisés dans la faillite des grands récits idéologiques, l'essoufflement des utopies et le vague sentiment d'un échec, ne sont ils plus d'actualité... 

 

La mondialisation et la crainte diffuse d'uniformisation culturelle qui lui est associée semblent avoir jeté un comme un discrédit sur les valeurs humanistes et universalistes qui sous-tendaient encore un idéal tel que celui de « démocratisation de la culture ».

On peut noter que par contraste le thème de la défense de la diversité culturelle, qui a inspiré la Déclaration Universelle adoptée par l'Unesco, semble un idéal beaucoup plus défensif et ambigu. On notera aussi que dans le discours politique français ce thème de la diversité culturelle a d'ailleurs pris le relais de la défense de l' « exception culturelle française », prenant de ce fait une certaine couleur  locale.

 

On ne peut que s'inquiéter de cette posture défensive, car on ne cherche à préserver que ce qui est déjà en train de disparaître du tissu social et des réseaux d'échanges. Une culture ne se préserve pas, elle se construit et se recrée sans cesse, dans une dynamique de projets partagés.

 

Pour clarifier le débat il serait sans doute utile de reprendre un certain nombre de notions fondamentales et de débrouiller des sédimentations de sens et d'usages qui ne sont jamais neutres.

 

Rappeler ce qu'est une culture, c'est rappeler qu'il ne peut y avoir de culture sans échanges.

 

C'est rappeler aussi que les dynamiques d'échanges entre les hommes, si elles ont toujours nourri d'innombrables processus de diversification et de création culturelle, sont aussi des dynamiques de conflit qui tendent à menacer cette diversité.

Dans nos représentations, la diversité culturelle est systématiquement opposée à l'uniformisation culturelle que véhiculerait la mondialisation.

 

Or l'idée qui consiste à idéaliser la diversité culturelle pour la prôner comme un recours contre la mondialisation et l'uniformisation du monde, peut sembler simpliste et même dangereuse. Tout dépend du projet dans lequel elle s'inscrit et des contenus dont elle se réclame.

 

Pour cette raison, on peut d'ailleurs préférer au terme de « diversité culturelle » la notion de « dynamiques culturelles », pensées comme l'expression de projets collectifs fédérateurs, fondateurs de libertés individuelles... 

 

Il y a déjà eu par le passé diverses phases de mondialisation ou de logique d'empire, qui n'ont jamais fait disparaître la diversité culturelle, bien au contraire, mais faut il considérer la globalisation actuelle comme inédite dans sa forme et ses conséquences ?

Dans un contexte mondial où toutes les sociétés sont désormais en situation de communication matérielle et intellectuelle les unes avec les autres, les rapports d'échange et d'interdépendance deviennent de plus en plus déterminants, mais peut-on considérer qu'ils entraînent une mutation généralisée et uniforme des attitudes et des visions du monde héritées du passé ?

 

En d'autres termes, faut-il relativiser cette mutation et considérer la mondialisation contemporaine comme l'une des innombrables figures, provisoires, de cette diversité civilisationnelle ?

 

Faut-il au contraire considérer la globalisation comme la manifestation d'une dynamique hégémonique radicalement nouvelle et typiquement occidentale, devenue irréversible ?  

 

Ou comme le produit d'un vaste brassage des cultures locales destiné à les absorber toutes progressivement dans un processus d'hybridation généralisée ? 

 

Ces questions préoccupent beaucoup nos concitoyens dans un contexte marqué par la crise de l'Etat-nation, la perte des repères culturels traditionnels et la montée des conflits identitaires.

 

La question de la diversité culturelle pourrait donc constituer l'axe central de réflexions et de débats concernant la culture et les conséquences culturelles de la mondialisation.

 

D'autant qu'on pourrait en profiter pour se demander si la défense de la diversité culturelle n'est pas en train de fournir l'alibi rêvé de nouvelles formes d'instrumentalisation de la culture ?

Les pratiques culturelles et l'éducation populaire (Chantal Dahan, Denis Adam, chargés d’études & de formation, Pôle culture de l’INJEP, 2005)

Aborder l’éducation populaire par le biais des pratiques culturelles des jeunes, par ces formes d’expression que les institutions disent émergentes, révèle assez bien la nécessité d’un changement de regard, d’approche. À commencer par les termes eux-mêmes, qui nécessitent d’être précisés, si ce n’est redéfinis. Qu’entendons-nous en effet par « culture » ? Au sens premier, ce terme nous renvoie à la capacité de l’homme de faire un travail de transformation, d’évolution, afin de s’extraire, de s’élever au-dessus ou au-delà de sa condition naturelle : il se cultive donc s’humanise. L’anthropologie affirmera ainsi que tout ce qui relève de la création humaine appartient à la culture des mœurs, à la manière de se nourrir, de se vêtir, de se loger, de se déplacer...

 

À côté de ce sens large, qui semble réunir tous les hommes dans cette capacité à la création et au développement, au travail sur eux-mêmes et à l’évolution, un sens plus restreint de la notion de culture vient marquer ce qui sépare, ce qui distingue, ce qui permet à la fois de donner des signes forts d’une identité et de poser les frontières de la différence.

 

Ainsi deux groupes humains vont pouvoir se différencier par certains traits culturels, alors que, dans le même temps, les individus s’identifient à leur groupe d’appartenance par ces mêmes traits culturels. De là à imaginer une hiérarchisation entre les cultures, à considérer « ma » culture comme supérieure à celle de l’autre et à vouloir selon « mes » intentions lui en interdire l’accès ou le hisser jusqu’à elle, le pas est facilement franchi.

 

 

L’accès à la culture pour tous

 

L’accès aux savoirs et particulièrement à l’art, tant par la fréquentation que par la création, n’a pas connu le même traitement selon les époques. Avec les Lumières et le début d’une réflexion sociale se posent à la fois la question de la reconnaissance « des » cultures et celle de l’accès de tous à l’universel.

 

On sait le temps qu’il a fallu pour passer de l’idée à sa réalisation, pour poser le principe de l’accès à tous, au minimum de la connaissance, par la lecture et l’écriture, en rendant l’école gratuite, laïque et obligatoire, à la fin du XIXe siècle.

 

Ce n’est qu’à partir du Front Populaire que de réels liens forts entre l’éducation populaire et la culture se nouent. Ils seront renforcés par le recrutement des instructeurs nationaux et la mise en place des stages culturels à partir de la Libération.

 

L’éducation populaire se situe dans l’émancipation individuelle et collective. Il s’agit donc pour elle de mener en permanence son action de transformation dans la double dimension de l’individu et du groupe, du citoyen et de la société. Elle s’inscrit aussi dans la construction des savoirs, dans l’expérimentation et la découverte. La recherche esthétique est toujours présente dans sa démarche et s’articule avec sa volonté de situer l’homme comme un être doué d’une intelligence sensible, d’une capacité à s’exprimer, d’un libre arbitre et des moyens de transformer le monde dans lequel il vit et construit sa place. Ainsi s’articule pour l’éducation populaire la dialectique de l’art et du social.

 

Les éducateurs ont progressivement abordé la nécessité d’étendre l’accès aux savoirs à d’autres formes d’expression sensible, au travers de la fréquentation des œuvres et de la création. La démarche d’éducation populaire a souvent su trouver dans ce domaine la possibilité de mettre en œuvre ses pédagogies et de marquer son originalité éducative, à côté et, souvent, en complément de l’école.

 

Rapidement, culture populaire et éducation populaire vont se rapprocher, se croiser, cohabiter et se superposer. La rupture vient davantage de la création du ministère de la Culture confié à Malraux et de la rapide partition (dès 1959) entre la démarche artistique exclusive privilégiant la rencontre d’oeuvres qualifiées d’universelles avec le public, sans aucune médiation, afin de permettre le « choc esthétique », et une démarche plus éducative considérant la démarche artistique comme constitutive de l’émancipation individuelle et collective.

 

Cette rupture se situe donc sur deux plans : idéologique et structurel. En inscrivant l’action de son tout nouveau ministère des Affaires culturelles en opposition à toute démarche éducative, André Malraux impose le clivage entre deux conceptions de l’approche artistique et culturelle, et creuse un fossé entre ce qui relève des grandes œuvres d’art, de l’humanité, et ce qui ne l’est pas : les expressions « mineures », le socioculturel et les pratiques amateurs, l’amateurisme. Avec le souci d’élever tout homme vers cette forme supérieure de l’humanité qu’est l’art, et en privilégiant le choc esthétique, il se fait le chantre de la démocratisation culturelle. Depuis, elle n’a jamais été abandonnée.

 

 

Aujourd’hui

 

Le paradoxe de la démocratisation culturelle est aujourd’hui patent. Malgré les moyens importants mis en œuvre, les propres chiffres du ministère de la Culture indiquent qu’une minorité, toujours la même, fréquente et consomme les biens culturels. Ces données statistiques interrogent. Elles ne me semblent pas bien en phase avec l’émergence de multitudes d’actions et d’activités dans les quartiers, dans les villages, souvent portées par le tissu associatif et des équipes artistiques.

 

Plus que l’échec de la démocratisation culturelle, c’est le glissement vers d’autres pratiques, vers d’autres lieux qui ne sont pas pris en compte par le ministère de la Culture (globalement ces évolutions sont assez peu analysées par qui que ce soit, seules les « nouvelles pratiques des jeunes », c’est-à-dire le hip-hop pour simplifier, font l’objet de l’observation récente de nombreux chercheurs). Ce changement en introduit d’autres. Le regard posé sur l’amateurisme comme étant nécessairement la première étape d’un parcours vers la professionnalisation, avec la hiérarchie de valeurs que cela implique, est en train d’évoluer fortement. De même les rapports créateur / diffuseur, artiste / public ou les classements en disciplines étanches se transforment et modifient la construction d’une réflexion et d’une compréhension des phénomènes et des pratiques culturelles.

 

L’utopie de l’éducation populaire n’a pas beaucoup mieux résisté au temps. L’institutionnalisation des structures associatives, l’inscription dans des politiques d’offre, la transformation de la culture en produit de consommation, les bouleversements sociaux ont souvent fait perdre le sens de la démarche initiale d’émancipation individuelle et collective.

 

Bien des actions visent la réparation sociale, l’intégration et la prévention des risques de violence et de délinquance. Là encore les pratiques artistiques sont souvent sollicitées. Elles contribuent à donner ou à construire une image positive de la jeunesse, mais s’attachent souvent davantage au paraître et au court terme, plutôt que de s’inscrire dans la recherche de la qualité et de la pérennité.

 

Pourtant force est de constater que nombre de nouveaux conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (CEPJ), même non spécialisés, puisent dans le domaine des pratiques culturelles (et plus particulièrement dans celles dites « émergentes ou actuelles ») la dynamisation de leur travail d’accompagnement, de conseil et d’expertise auprès d’individus, de groupes et d’associations, tout comme au niveau des politiques éducatives locales.

 

Le développement de pratiques en dehors des lieux institués pose la question même du rôle de l’art. Considéré comme la forme la plus élevée de la création humaine, l’art ne peut tendre que vers un idéal sacralisé avec lequel l’homme serait sommé d’entrer en communion. Hors de ses temples - même s’ils sont ouverts et à l’air libre - acoquiné à des revendications sociales, l’art devient suspect de récupération, d’instrumentalisation. Une « troisième voie » doit pouvoir naître, où la pratique de l’art n’est ni neutralisée par sa muséification instantanée, ni réduite à une méthodologie utilitariste à finalité sociale. Au-delà du geste artistique, de l’œuvre elle-même, ce qui nous semble déterminer une pratique, c’est son mode de présentation, de présence au monde, qui fait acte et lui donne sens.

 

 

Des pistes pour les mouvements d’éducation populaire

 

Ces changements de perspective interrogent forcément les éducateurs et les mouvements d’éducation. Si nous constatons, plus que l’échec de la démocratisation culturelle, l’inefficacité des réponses traditionnelles et structurelles, de nouvelles réponses doivent pouvoir émerger, conduites par ceux qui dans leurs démarches originales peuvent puiser les ressources pour faire autrement. L’éducation populaire peut être une de ces sources d’innovation.

 

C’est le terme d’accompagnement qui semble alors le plus pertinent : accompagner c’est cheminer avec. Cela implique donc davantage un compagnonnage qu’une guidance. Il ne s’agit pas d’imposer a priori l’itinéraire mais bien plus de se mettre d’accord sur un but à atteindre ensemble et de construire en commun le parcours qui y mène. Accompagner l’autre sur le chemin culturel implique de reconnaître qu’il a une culture, qu’il n’y a pas d’homme sans culture.

 

Dans cette logique, il revient à une démarche d’éducation populaire d’inscrire sa mission selon trois axes forts : la reconnaissance, la qualification et la valorisation.

 

Tout d’abord, il lui revient de reconnaître les formes de pratiques artistiques et culturelles qui ne le sont pas ailleurs. Il en va ainsi des expressions nouvelles, novatrices ou émergentes mais aussi d’approches plus traditionnelles relevant des cultures populaires (par leur forme, leurs acteurs, leur public...). Pour ce faire, les services jeunesse, les associations et fédérations d’éducation populaire ont besoin de personnels formés mais également ouverts à des formes d’arts variées et souvent inscrites dans la pluridisciplinarité. Ces personnels doivent ainsi avoir la capacité de reconnaître, parmi les formes d’expression culturelle d’aujourd’hui, celles qui appartiennent à la catégorie des cultures populaires et qui peuvent recouvrir plusieurs réalités :

 

* les cultures traditionnelles, comme le folklore

* les cultures des classes sociales défavorisées, telle la culture ouvrière ou paysanne

* les cultures de masse, dont la télévision

* les cultures marginales et alternatives

 

Les réalités évoquées ici sont à prendre en compte sans exclusive ni exclusion. Ces cultures sont en perpétuelle évolution. Leurs lieux ne sont pas forcément les lieux culturels reconnus comme tels. Leurs pratiques peuvent relever davantage de la sphère privée et individuelle que de l’espace public et de l’action collective. On doit être formé à la complexité de leur approche et de leur identification. S’en priver signifierait qu’on renonce à comprendre la construction de ces pratiques, et donc qu’on reste sur des discours et des actions décalées.

 

Ainsi se pose autant la question des lieux de regroupement (les cafés, les squats, le garage ou la cave transformés en « studio de répétition »...) que celle des moyens de diffusions grand public (les radios, les télévisions) ou des espaces de créativité (les jeux de rôle, Internet...).

 

Une fois identifiée, cette culture mérite d’être valorisée, c’est-à-dire reconnue comme ayant une valeur en tant que telle. Cette étape pose les limites du non négociable : reconnaître ne signifie pas partager. Au-delà du respect de la culture de l’autre, il est également indispensable de poser des incontournables, une sorte de plus petit dénominateur commun qui ne peut être remis en cause : les droits de l’homme, l’égalité homme / femme, le refus du racisme... Dans le même temps, il convient de reconnaître le caractère intrinsèquement transgressif de l’acte créateur, la charge subversive que peut (doit ?) avoir le geste artistique, et de ne pas enfermer les pratiques dans les limites d’un consensus posé a priori. Les modes d’expression artistiques sont aussi les lieux symboliques, voire physiques, du dépassement des limites permises. Ce dépassement, communément admis dans les cultures « nobles », se voit trop souvent frappé d’interdiction lorsqu’il a lieu dans les cultures populaires, redoublant symboliquement les inégalités sociales (ainsi, aux classes dominantes la violence de Bataille ou de Sade, aux pauvres les cours d’instruction civique et les programmes de télévision expurgés).

 

Les pratiques artistiques et culturelles amateurs nécessitent d’être reconnues dans leurs dimensions esthétiques et sociales, aidées dans leur diffusion et dans le développement des structures qui les portent. L’organisation de festivals, le soutien aux associations, la programmation d’événements culturels sont autant de contributions à cette valorisation. Là encore, la reconnaissance de la qualité des personnels de la jeunesse et de l’éducation populaire contribue à améliorer l’image de ceux qu’ils aident et accompagnent.

 

Aujourd’hui l’enjeu est de repenser entièrement la notion de pratique artistique amateur et en particulier à bâtir une définition déconnectée de l’aspect professionnel, considérant que, plutôt que deux aspects qui s’opposent ou se succèdent, ce sont deux choses différentes qui peuvent - au mieux - se compléter. Ainsi leurs modes de création, de production, de diffusion et leurs rapports aux publics sont différents, parce que leurs buts, leurs visées, leurs finalités le sont aussi. Il y a là tout (ou presque) à inventer et à faire vivre. La difficulté est évidente. C’est pourtant le moyen de sortir de l’opposition stérile qui fait systématiquement s’affronter amateurs et professionnels.

 

Enfin la qualification permet l’évolution, la progression, l’enrichissement. Puisqu’il y a eu reconnaissance et valorisation, ma culture peut s’affirmer, mais aussi s’enrichir au contact de celle de l’autre. Cette étape conduit à ne pas enfermer, mais à ouvrir vers d’autres formes d’expression afin de permettre de nouvelles rencontres, de nouvelles appropriations. À la notion de métissage, nous préférons celle de tissage culturel. Il y a en germe derrière le terme de métissage un risque de hiérarchisation, d’idéologie raciste (le métis est relui qui est de « races mélangées et donc moins pures ») ; la culture métissée pourrait alors apparaître comme agréablement exotique mais inférieure à la culture pure, noble, élitaire. Le tissage implique plusieurs fils de même importance et c’est la diversité des coloris qui permet la richesse du tissu obtenu. La même réflexion peut être faite dans le cas du mélange disciplinaire. Ne pas rester enfermé dans le cadre étroit d’une seule discipline ne signifie pas que l’artiste, le créateur, le pratiquant doivent devenir polyvalents mais davantage que le tissage naîtra de la rencontre de plusieurs spécialistes capables de s’ouvrir, de se comprendre et de cheminer ensemble. D’autres pistes sont certainement possibles...

Violence et culture (Pierre-Jean Memmi)

1) La violence comme symptôme de la crise des valeurs et des institutions de nos sociétés contemporaines.

a- il n'y a pas de violence nouvelle mais un renouvellement de ses modalités d'expression et surtout de représentation: sociétés et technique moderne ont une violence à leur mesure.

b- d'où: de la société du spectacle à la spectacularisation de la violence: la violence imperceptible des médias, la violence médiatisée par ses propres auteurs (Internet, téléphone portable etc...) et la remédiatisation de la violence comme les trois faces, pourtant antagonistes au point de vus socio-politique, d'une même spectacularisation

c- donc: la violence comme forme exacerbée d'un discours privé de sa parole et, paradoxalement, comme instrument privilégié du spectacle: la violence comme expression du désespoir, réappropriation mortifère d'une figure de la reconnaissance: de "Fight club" à la crise des banlieux... et médiatisation de cette violence, non dans ce qu'elle a de désespéré, mais comme purement destructrice, c'est-à-dire privée de sa dimension discursive: la violence ne dit rien mais n'est que terroriste et donc doit être écrasée, karsherisée...  

 

2) De l'instrumentalisation de la violence comme figure de relégitimation d'une autorité en crise.

a- la nouvelle génération est-elle violente par nature, en raison d'une "fluctuation génétique quelconque", ou socialement déterminée à le devenir? bref, nait-on violent ou le devient-on?

b- y a t-il un problème de la violence ou un problème de l'autorité: est-ce une violence émergente qui est cause de la crise de l'autorité ou une délégitimation de l'autorité qui génère l'émergence de la violence?

c- si la crise sociale et politique est constitutive de l'émergence de la violence, les institutions n'ont-t-elles pas intérêt, face à leur propre échec, à instrumentaliser cette violence comme ultime procédure de légitimation?

d- l'instrumentalisation de la violence visible (crise des banlieux, violence urbaine, incivilités...) comme paravent de la violence "invisible" du système capitaliste et de ses institutions.

e- la violence des "sauvageons" au service de la violence du pouvoir? stigmatiser la montée de la violence urbaine pour mieux légitimer les dérives d'un pouvoir de plus en plus coercitif et d'une société, en ses valeurs mêmes, déshumanisante: le réconfort du bouc émissaire, du chien à qui l'on vient d'innoculer la rage.   

 

3) De la violence mondialisée du marché au repli identitaire.

a- l'OMC contre les hordes barbares : quelques-uns pour tout, et tous pour rien...

b- de l'idéologie du marché mondial au marché des ethnies; le repli identitaire comme ancrage dans le vide sidéral des valeurs  et les tremblements de terre économiques; la violence désespérée de la racine contre la violence désertifiante du démembrement.

c- diversité culturelle et identité mercantile; le repli communautaire comme figure sectaire de la diversité.

d- pour un authentique cosmopolitisme?   

 

4) De la violence du rationalisme formel au service des idéologies de pouvoir.

a- la violence technocratique.

b- la violence consumériste.

c- la violence des élites et des experts.

d- la violence sourde du professeur, du médecin, du banquier, de tous ces lieux de pouvoir qui s'approprient le discours: du bourgeois gentilhomme au malade imaginaire...

e- le repli mysologique dans l'irrationalisme: du gourou au chaman...

"Ce qui nous fait souci" - Culture, violence, mondialisation (Jacques DEFERT, 2007)

Les mutations de la société contemporaine ont engendré un sentiment d'inquiétude général qui n'est cependant pas tout à fait nouveau. Dès 1929, Freud avait déjà de bonnes raisons de s'intéresser aux causes profondes de ce « malaise dans la culture » dont il pressentait les conséquences.

 

Il est vrai qu'aujourd'hui, de la précarisation de l'emploi au réchauffement de la planète, les motifs d'inquiétude ne manquent pas. Mais il semble qu'en se mondialisant, les problèmes auxquels nous sommes confrontés apparaissent surtout comme les produits d'un processus global sur lequel nous avons perdu toute prise.

 

En réponse à notre sentiment d'impuissance, la sinistrose ambiante tend à nous faire croire que discours et valeurs étant devenus interchangeables depuis l'effondrement des vieilles idéologies, il ne nous reste plus qu'à nous faire à la raison du narcissisme consumériste planétaire en oubliant les inégalités et les crimes qu'il génère.

 

L'Université Populaire d'Arles, initiative ouverte et citoyenne, se propose de prendre en compte cette inquiétude pour lui restituer, dans le partage des questionnements, des savoirs et des idées, toute sa charge d'insatisfaction critique et de mobilité créatrice :

 

Inquiétude  face à la montée de la violence comme symptôme du recul des formes traditionnelles de socialisation, comme signe de la crise des valeurs et des institutions, comme emblème du triomphe de la société du spectacle médiatique.

 

Inquiétude devant les mécanismes culturels de la mondialisation, devant l'hégémonie de la loi du marché désormais affranchie de toute préoccupation morale et la soumission de toute réflexion politique au totalitarisme de la rationalité économique.

 

Inquiétude face au recours à de nouveaux substituts consolateurs, de la relégitimation des discours sécuritaires et des figures d'autorité, au refuge symétrique dans le communautarisme sectaire, le fondamentalisme politico-religieux et les identités retranchées.


La culture, dont le contrôle est devenu l'enjeu des nouveaux réseaux de pouvoir et de domination,  est aussi le champ transversal à partir duquel tous ces processus peuvent être interrogés, décortiqués, démystifiés, en résonance avec leur incidence très concrète sur notre vie quotidienne et nos représentations du monde.

En s'intéressant à ces dimensions de la culture, l'Université Populaire d'Arles entend bien poser ainsi des questions de société plus larges : quelles sont les conséquences culturelles de la mondialisation, les processus de démocratisation de la culture ont ils échoué et pourquoi, quels sont les liens entre la violence, l'image et la consommation ?

 

Il s'agit d'inviter les « travailleurs soucieux » que nous sommes tous à approfondir ces questions pour mettre à jour les enjeux que les réponses trop tranchées ont justement pour fonction de masquer :

 

Opposer sans nuances la mondialisation uniformisante à la promotion de la diversité culturelle  consiste à nous faire oublier que la mondialisation a besoin de produire sans cesse de nouveaux produits, quitte à instrumentaliser la diversité culturelle à son profit, à la folkloriser et à la transformer en leurre.

 

Promouvoir les diversités culturelles comme un recours à l'échec de la démocratisation de la culture permet d'éluder l'analyse des mécanismes de reproduction des inégalités sociales, tout en ignorant les formes alternatives de création qui se jouent des conventions culturelles et des ghettos identitaires.

 

Imputer la responsabilité de la violence à l'image revient à dissimuler le rôle des violences invisibles, plus insidieuses que les violences qui empruntent le détour distancié du récit et de la symbolisation.

En s'intéressant à la culture comme à un vaste terrain d'expérimentation où les inquiétudes individuelles nourrissent des imaginaires collectifs et fédèrent aux quatre coins du monde de multiples dynamiques d'appropriation, de branchements, de tissages et d'hybridations, l'Université Populaire d'Arles souhaite s'interroger sur nos capacités à élaborer encore des utopies partagées, susceptibles de prendre le relai  des  récits mythologiques et idéologiques maintenant oubliés ou décrédibilisés.

 

En se réclamant des initiatives multiples qui se donnent aujourd'hui pour objectif de favoriser l'émancipation individuelle et collective, l'Université Populaire d'Arles souhaite aussi expérimenter un dispositif de socialité et de réflexion adapté au contexte arlésien, avec l'idée que la liberté de la parole se construit nécessairement dans l'ouverture de la curiosité et l'exercice de la pensée.

"La culture est une invention grecque..." (Platon, Cicéron, Hadot, Deleuze, Foucault, Pelloutier)

1) La culture est une invention grecque. Elle est d'abord "paideia" c'est-à-dire éducation, au sens où ainsi, l'homme travaille à sa propre excellence. Elle est une réponse du souci de soi, du soin de soin (epiméléthai éautou) qui est la philosophie en ces temps antiques, notamment chez Platon dans son Alcibiade. C'est-à-dire que la culture, en ses origines grecques, est Art de Vivre et gouvernement de soi par soi. Voilà pourquoi elle est un outil autant éthique que politique. Cicéron ne dira pas autre chose.

 

 2) Vient avec la période moderne, le divorce de l'éthique et du politique, à partir des premières intuitions machiavéliennes. Ici, le politique se dégénère en technique ; et l'éthique se rapport à une conduite privée séparée du rapport à la chose publique. Ce divorce explique d'une part la déchéance de la culture en ornementation bourgeoise séparée de la vie (les cafés philo...); et d'autre part la réduction du politique à la gestion des affaires courantes. Enfin, il consume la séparation du politique et du culturel.

 

3) Or, l'irruption dans la pleine modernité du rapport aux logiques de pouvoir qui devient toujours plus fractales et "délocalisées", l'éclatement et la polymorphie des procédures de contrôle et la dissolution de la puissance d'état au bénéfice de mille et une stratégies de contrôles organisationnelle ou d'autocensure (Deleuze), tout cela oblige à réintroduire au coeur même de l'expérience "privative" et intime de la culture comme éthique, la dimension d'un politique plus labile et fluant. De là, la nécessité de refonder la culture comme souci de soi, élaboration de soi et en même temps stratégie politique d'évitement ou de contournement, voire de subversion du pouvoir. De là l'urgence d'universités populaires qui soient lieu de culture de soi ET d'autrui, et de ce fait, en même temps enclave et poche de résistance devant la domination du politique.

UPOP'Arles vous propose huit rendez-vous, du mois d'octobre 2024 au printemps 2025.

 

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